(Lénine, La violation de l’unité aux cris de : ‘vive l’unité’, publié en mai 1914 dans le n° 5 de la revue Prosvéchtchénié, Œuvres choisies, Tome I, Moscou, 1948, édition numérique.)

« La Revue ouvrière de Trotski est une revue de Trotski pour les ouvriers ; car il n’y a trace, dans cette revue, ni d’initiative ouvrière, ni de liaison avec les organisations ouvrières. (…) Et ce fait montre que nous avions raison en qualifiant Trotski de représentant des « pires vestiges du fractionnisme ». Non fractionniste en paroles, Trotski est pertinemment, pour tous ceux qui connaissent un peu le mouvement ouvrier de Russie, le représentant de la « fraction Trotski » ; il y a là du fractionnisme, puisque ses deux indices essentiels sont réunis : 1° reconnaissance nominale de l’unité et 2° séparatisme de groupe, en fait. Il y a là un reste de fractionnisme, car il est impossible d’y découvrir rien de sérieux dans le sens d’une liaison avec le mouvement ouvrier de masse en Russie. Enfin, c’est la pire espèce de fractionnisme, car il n’y a là aucune précision idéologique, ni politique. (…) Résultat : 1° Trotski n’explique ni ne comprend la portée historique des divergences idéologiques entre les courants et fractions du marxisme, bien que ces divergences remplissent vingt années d’histoire de la social-démocratie et concernent les principaux problèmes d’actualité (comme nous le montrerons encore) ; 2° Trotski n’a pas compris les particularités essentielles du fractionnisme, comme reconnaissance nominale de l’unité et division réelle ; 3° Sous la bannière du « non-fractionnisme », Trotski défend une des fractions à l’étranger, particulièrement dépourvues d’idées et privées de toute base dans le mouvement ouvrier de Russie. Tout ce qui brille n’est pas or. Il y a beaucoup de clinquant et de tapage dans les phrases de Trotski ; mais de contenu, point. » (pp. 268-270.)

« Trotski aime beaucoup à donner, « avec l’air savant d’un connaisseur » et en usant de phrases pompeuses et sonores, une explication flatteuse pour lui, Trotski, des phénomènes historiques. Si de « nombreux ouvriers avancés » deviennent des « agents actifs
» d’une ligne politique, de la ligne du Parti, qui ne concorde pas avec la ligne de Trotski, ce dernier résout la question sans se gêner, d’emblée et sans détour : ces ouvriers avancés se trouvent « dans un état de désarroi politique complet », alors que lui, Trotski, est sans doute « dans un état » de fermeté politique, de lucidité et de justesse de ligne !… Et c’est ce même Trotski qui, se frappant la poitrine, fulmine contre le fractionnisme, contre l’esprit de cercle, contre cette façon — propre à un intellectuel — d’imposer sa volonté aux ouvriers !… (…) En notre qualité de publiciste, nous ne nous lasserons pas de répéter, en réponse aux cris répétés sur la scission, des données précises, irréfutées et irréfutables. A la IIe Douma, la curie ouvrière a donné 47 % de députés bolcheviks ; à la IIIe, 50 % ; à la IVe, 67 %. Voilà où est la majorité des « ouvriers avancés », voilà où est le Parti, voilà où est l’unité d’idées et d’actions de la majorité des ouvriers conscients. (…) Quiconque n’entend pas s’abuser soi-même et abuser les autres, doit reconnaître ce fait objectif de la victoire de l’unité ouvrière contre les liquidateurs. (…) Où donc est ici l’unité d’action et de volonté de la majorité des « ouvriers avancés », et où est la violation de la volonté de la majorité ? Le « non-fractionnisme » de Trotski, c’est justement le scissionnisme, dans le sens de la violation la plus impudente de la volonté de la majorité des ouvriers. » (pp. 271-273.)

« Ne sont « sympathiques » aux liquidateurs et à Trotski que les modèles européens d’opportunisme, et non point les modèles de l’esprit de parti européen. (…) Trotski reprend les calomnies des liquidateurs contre le Parti et se garde de toucher à l’histoire de la lutte des tendances à l’intérieur du Parti, lutte qui se poursuit depuis vingt ans. (…) Si l’on touche à l’histoire, il faut expliquer les problèmes concrets et les racines sociales des diverses tendances ; quiconque désirera étudier en marxiste la lutte de classes et la lutte de tendances autour de la participation à la Douma Boulyguine, y verra les racines de la politique ouvrière libérale. Mais Trotski « touche » à l’histoire afin d’esquiver les problèmes concrets et d’inventer une justification ou un semblant de justification pour les opportunistes actuels ! (…) Si Trotski évite les faits et les indications concrètes, c’est parce que ceux-ci réfutent implacablement toutes ses exclamations virulentes et ses phrases pompeuses. Evidemment, il est très facile de prendre une pose et de dire : « C’est une grossière caricature sectaire». Il n’est pas difficile non plus d’ajouter quelques mots encore plus forts, encore plus pompeux sur l’« affranchissement de l’influence du fractionnisme conservateur ». Seulement, n’est-ce pas user d’un moyen trop facile ? Cette arme n’a-t-elle pas été tirée de l’arsenal de l’époque où Trotski brillait devant les collégiens ? (pp. 275-277.)

« Les vieux participants au mouvement marxiste en Russie connaissent bien la figure de Trotski, et pour eux il ne vaudrait pas la peine d’en parler. Mais la jeune génération ouvrière ne la connaît pas. Et il faut bien en parler, car c’est une figure typique pour tous les cinq petits groupes de l’étranger qui, de fait, balancent également entre les liquidateurs et le Parti. Au temps de la vieille Iskra (1901-1903), ces hésitants et transfuges du camp des « économistes » dans celui des « iskristes », et vice versa, avaient reçu un surnom : les « transfuges de Touchino » (c’est ainsi qu’à l’Epoque trouble, dans la vieille Russie, on appelait les guerriers qui passaient d’un camp à l’autre). Lorsque nous parlons de liquidation, nous désignons un certain courant idéologique, formé pendant des années, et que ses racines rattachent — au cours des vingt années de l’histoire du marxisme — au « menchévisme » et à l’« économisme », à la politique et à l’idéologie d’une classe déterminée, la bourgeoisie libérale. Les « transfuges de Touchino » se déclarent au-dessus des fractions pour la seule raison qu’ils « empruntent » les idées, aujourd’hui à une fraction, demain à une autre. Trotski était un « iskriste » farouche en 1901-1903, et Riazanov a dit de lui qu’il avait joué au congrès de 1903 le rôle de « matraque de Lénine ». A la fin de 1903, Trotski est un farouche menchévik, c’est-à-dire qu’il avait passé des iskristes aux « économistes » ; il proclame : « entre la vieille Iskra et la nouvelle, il y a un abîme ». En 1904-1905 il quitte les menchéviks et occupe une position indécise : tantôt il collabore avec Martynov (un « économiste »), tantôt il proclame l’absurde théorie gauchiste de la « révolution permanente ». En 1906-1907, il se rapproche des bolcheviks, et au printemps de 1907 il se déclare solidaire de Rosa Luxembourg. A l’époque de désagrégation, après de longs flottements « non fractionnistes » il oblique de nouveau à droite et, en août 1912, il fait bloc avec les liquidateurs. Maintenant il s’en écarte à nouveau, mais au fond il reprend leurs petites idées. De tels types sont caractéristiques comme débris des formations historiques d’hier, lorsque le mouvement ouvrier de masse, en Russie, sommeillait encore et que le premier petit groupe venu avait « toute latitude » de figurer un courant, un groupe, une fraction, en un mot une « puissance » parlant de s’unir avec les autres. Il faut que la jeune génération ouvrière sache bien à qui elle a affaire, lorsqu’elle entend formuler des prétentions inouïes à des gens qui ne veulent absolument compter ni avec les décisions du Parti, lesquelles ont fixé et établi dès 1908 l’attitude à observer envers le courant de liquidation, ni avec l’expérience du mouvement ouvrier actuel de Russie, qui a créé en fait l’unité de la majorité en partant de la reconnaissance absolue des décisions indiquées. » (p. 278.)

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